"RAPH! Où vas-tu encore?" ; "Je vais jouer avec Tim et Sam!" ; "Sois prudent! Je n'aime pas quand tu traînes avec ces gamins"; "Promis m'man" Je me précipitai hâtivement dans ma chambre pour prendre quelques derniers accessoires avant d'être mis au tapis par une furie ambulante. "Yahaaaaa Je t'ai eu! Je t'ai eu! KO! Game-over!" Ça, c'était ma démoniaque petite sœur, Lou. Elle était ma cadette de cinq ans et se plaisait à torturer mon pauvre dos en me sautant littéralement dessus dans aucun scrupule. "Tu vas jouer les cascadeurs avec tes copains?"; "Oui pupuce" ; "Je peux venir avec toi siltouplaiiiiit?" Qui pourrait résister à cette petite bouille d'ange, ces petits yeux humides et ses pommettes de hamster? Personne, sauf moi. Je soupirai et lui tirai les joues, la faisant geindre comme une poule. "Pas cette fois pupuce, quand tu ne seras plus une naine, on en reparlera!" Elle mit fit une moue irrésistible, croisant les bras comme une grand dame et me donna un coup de pied au tibia. Ouille! "Vilain! On croirait entendre papa! D'ailleurs, c'est quand qu'il revient à la maison?" Je l'observai un court instant, attendri et rattrapé par un brin de tristesse. Cela faisait maintenant un an que mon père était mort, atteint d'une maladie incurable. Encore maintenant, j'avais du mal à m'en remettre, il était un peu un modèle pour moi. "Je te l'ai déjà dit, il est monté au ciel auprès des anges..." Elle me lorgna comme si j'étais une étrange bête avant de s'éclipser furtivement de ma chambre. Je soupirai et sortis par la fenêtre pour atterrir juste à côté de mon vélo que j'empruntai pour rejoindre Tim et Sam. "Eh bah et alors? T'en as mis du temps!" ; "Scuse les gars! Bon, on fait quoi aujourd'hui?" Ils me pointèrent une crête entourée par un serpent d'eau. Cette vision euphorique attisa tout mon intérêt et je me voyais déjà arpenter sa pente vicieuse. Sans plus attendre, nous nous mettions en route, sans aucun équipement adéquat. J'avais quinze ans, j'étais jeune et con, et ça ne risquait pas de changer de sitôt. La chaleur du soleil nous léchait le visage, telle une vile tentation. Trempé de sueur, j'étais en tête, aux 3/4 de la crête, et le sommet m'appelait furieusement. Tout aurait pu bien se passer si Tim n'avait pas glissé sur une surface instable, s'il ne s'était pas abattu au sol sans qu'on ait le temps de réaliser ce qui se passait. Tout s'était enchaîné si vite, et nous étions là, à assister avec effroi à la chute mortelle de notre ami. Suite à ça, nous avions été sévèrement punis, tenus pour irresponsable et inconscients. Je les comprends bien, mais j'avais toujours été comme ça...friand de sensations fortes. "Et Tim, il va aussi monter au ciel avec les anges?" ; "Oui pupuce..."

"Je m'en vais!" ; "Comment ça tu t'en vas? Ne me dis pas que tu comptes entreprendre ton stupide projet?" ; "Ce n'est pas qu'un simple projet, c'est le pilier même de ma vie m'man! J'en ai besoin...De toute façon, même sans ton accord, je pars!" Je sais que c'était égoïste de ma part. Ma mère avait toujours veillé à mon bonheur et je la laissai en plan du jour au lendemain. Quant à ma sœur, je ne sais même pas si elle va me pardonner suite à mon départ. Elle et moi sommes tellement fusionnels que l'idée de me séparer d'elle me noue l'estomac, mais j'ai besoin de cette escapade, sinon je risque de devenir fou. Je suis un animal sauvage qui désire ardemment sa liberté. Je n'avais pris qu'un simple sac à dos avec des sous, une gourde remplie d'eau, une boîte de biscuits, un appareil photo, une lampe-torche, des allumettes, des chewing-gum, mes papiers, et c'est à peu près tout. Je n'avais jamais été un grand adepte des grosses valises encombrantes, je préférais me dégotter le nécessaire sur place. Pas moins de deux jours plus tard, j'étais là, à arpenter le continent derrière ma Jeep. J'avais pris soin de ne pas oublier mon VTT et quelques accessoires de sport. J'aimais garer ma Jeep dans un coin isolé et passer ma journée à rouler sur les territoires sauvages sur mon vélo, me trouver des lagons mirifiques dans lesquels je pouvais me baigner, nu comme un nouveau né, sans personne pour venir troubler ma liberté inconditionnelle. Je me souviens encore de ce jour-là où j'avais glissé sur des rochers mouvants pour finir au fond d'un trou, piégé comme un rat. Résultat des courses, je m'étais retrouvé avec une jambe et un bras cassés, et des côtes froissées. Il m'a fallu toute une après-midi pour m'extirper de cette gorge plongée dans la pénombre. J'ai chier de mal, mais je suis toujours vivant et je pète la forme. Je sais, je suis loin d'être raisonnable, mais c'est ma façon de vivre, qui puis-je?

"Alors comme ça, tu es un nomade?" railla-t-elle. "Je dirais plutôt aventurier!"; "Oh! Monsieur se la joue Indiana Jones alors? Intéressant! Et où se cache ton fouet?" Elle me nargua de son délicieux sourire qui me fit fondre sur place. Elle vivait dans un coin désert, à côté d'une nationale où passaient régulièrement des adeptes du voyage, Santa Rosa, une ville à la limite de l'abandon. Cet endroit m'inspirait plénitude et tranquillité, je m'y sentais bien, comme si j'étais enfermé dans un cocon de chaleur. Je venais à peine d'arriver et voilà que j'étais en plein flirt avec une jolie donzelle avec qui le feeling était passé comme de l'eau de source. J'étais resté trois semaines à Santa Rosa, puis je repris mon envol. Je n'étais pas un casanier, j'étais un oiseau sauvage qui aimait goûter à des cultures et des paysages différents. Parfois, je laissais ma jeep à l'abri des regards et traversais des contrées en kayak, à pieds, en vélo. C'était un vrai délice, presque de la jouissance.