5 months earlier - february.

Samuel conduisait depuis trois heures. Aucune pause. Il ne s’arrêtait pas pour admirer le paysage, ni pour partir en randonnée improvisée comme il en avait pris l’habitude. Les petits bleds défilaient derrière son pare-brise sans qu’il ne soulève son pied de la pédale d’accélérateur. Il quittait la Louisiane. Pas pour de bon, non. Il reviendrait. Mais il avait ce picotement au cœur, cette appréhension qu’il savait totalement absurde – après tout, combien avant lui avaient quitté la Louisiane ? des milliers sûrement – mais dont il ne pouvait se débarrasser. C’était une page de sa vie qui allait se tourner, et comme un étudiant quelques heures avant le concours qui déterminerait son futur, il était crispé, tendu. Il avait baissé le volume de la radio, ordonnant soudainement à Louis Armstrong de baisser d’un ton, lui et sa voix si particulière n’étaient pas les bienvenus pour le moment.
La fenêtre légèrement entrouverte, il laissait le froid s’infiltrer dans le pick-up. Février. Le temps passait si vite, cela ferait bientôt un mois qu’il avait pris la route, un mois qu’il parcourait la Louisiane en long, en large et en travers, repoussant l’échéance, le moment où il la quitterait, ce moment qui était à présent venu. Droit devant lui, le panneau Welcome in Texas se dressait fièrement. Imperceptiblement, il ralentit. Et voilà. Le réel début de son voyage. Le commencement. La page qui se tournait. Il le dépassa, un long soupir s’échappant de ses lèvres entr’ouvertes. A lui le Texas.

Une heure plus tard, la musique avait été remise à fond. C’était au tour des Red Hot Chili Peppers d’emplir la voiture. Samuel s’était remis plus qu’il ne le pensait. Quitter son berceau, laisser son enfance, son adolescence, sa vie, tout, avait été plus facile à accepter qu’il ne le pensait. Il avait grossi le phénomène, lui accordant une trop grande importance alors qu’au final, ça n’était pas grand-chose. Il s’en rendait parfaitement compte à présent, sa tête balançant au rythme des accords, partir n’était pas difficile.
Alors qu’il appuyait encore un peu plus sur l’accélérateur, il aperçut quelqu’un au loin, pouce en l’air. Un autostoppeur. Après un rapide coup d’œil dans le rétro, il constata qu’il était le seul véhicule des environs. Ce pauvre type allait, s’il ne le prenait pas, sûrement passer une nuit à la belle étoile.
Lorsqu’il ne fut plus qu’à une cinquantaine de mètres de lui, il put voir une réplique même de ces gangsters, dans les films des années cinquante. Trop bien habillé pour être tout à fait clean. Samuel se demandait ce qu’il pouvait bien faire ici, au milieu de nulle part. La dernière qu’il avait traversée se situait peu après la frontière. Or, cela faisait plus d’une heure qu’il avait franchi cette dernière. Louche. C’était ce à quoi il avait pensé, immédiatement.
En s’arrêtant à son niveau, découvrant donc, par la même occasion, sa figure d’acteur démodé, il se demanda s’il ne faisait pas une connerie. Qui sait ce que ce genre de type pouvait bien transporter avec lui… Néanmoins, ses principes et sa conscience lui dictait qu’il ne fallait pas abandonner quelqu’un sur le bord de la route. Et puis, les rencontres faisaient parties du voyage, il le savait depuis maintenant plus d’un mois. De nouveau, il abaissa le volume de sa radio, puis abaissa sa vitre, appuyant son bras contre la portière noire du pick-up. « Vous voulez grimper ? »