Love the way you lie [R]

« Surtout, vous ne bougez pas d'ici. » Léo lança une dernière fois un regard aux deux jeunes femmes dans la pièce et ferma finalement la porte. Laisser seule Maelys avec l'otage était une très mauvaise idée. Elle était loin d'être idiote, mais elle pouvait facilement se faire manipuler par cette folle. Ils avaient parcouru presque la moitié des États-Unis pour au final se retrouver à Santa Rosa. Cette ville que Léo détestait tant. La dernière fois qu'il y était venu, c'était pour l’enterrement d'oncle Jackie. Ce vieux ermite qu'il n'avait vu qu'une seule fois en dehors de son cercueil. S'en était ensuite suivi les deux plus belles semaines de toute sa vie. La fille qui lui avait fait tourner la tête pendant ces quelques jours passés avec elle : Bonnie. Il était parti du jour au lendemain, sans rien dire à personne, mettant brutalement fin à cette passion qui les avait dévoré depuis leur rencontre. Ça faisait un an que cela s'était passé et pourtant, en un an, il n'avait pas arrêté de penser à elle. Il avait ses raisons, il était parti parce que cette ville avait une signification spéciale pour lui. Bonnie n'était pas censée se trouver là, pourtant, elle y était. Comment allait-elle réagir en le voyant ? Elle n'avait sûrement pas encore digéré cet abandon comme seule justification, un mot griffonné sur une vieille addition du Diner. « Désolé, » il n'avait sûrement jamais fait pire dans toute sa vie. Il le regrettait encore, mais il savait que toutes les excuses du monde ne pourrait pas effacer cet acte de lâcheté.

Léo inspira profondément, face à lui se dressait maintenant ce vieux immeuble qu'il connaissait encore par cœur. Il avait l'impression que la dernière fois qu'il y était entré c'était la veille. Il inspira profondément et entra dans la bâtisse. Il monta les escaliers lentement en se faisant tout un tas de films dans sa tête. Elle allait sûrement le tuer, lui crier dessus et même le frapper, mais il n'avait pas le choix. Bonnie était la seule personne en qui il avait vraiment confiance. Il était sûr qu'elle n'irait pas le vendre au premier policier venu, même s'il lui avait brisé le cœur de la façon la plus minable qui soit. Il arriva enfin devant la porte de l'appartement. La cage d'escalier, le palier, rien n'avait changé. Tout était resté aussi intact que dans son souvenir. Il frappa à la porte, attendant patiemment. Dans un sens, il souhaitait qu'elle ne soit pas là, mais le bruit du verrou le ramena vite sur terre. La porte s'ouvrit sur un visage familier. C'était elle, la seule et l'unique Bonnie. Il resta quelques secondes à la regarder sans rien dire. Elle devait être sous le choc, devait croire qu'elle était en train de rêver, mais non, c'était la réalité. Avant qu'elle n'ait pu dire quoi que ce soit, Léo répliqua d'une traite : « J'ai braqué une banque et j'ai un otage avec moi. J'ai besoin de ton aide. »

Une journée de plus. Bonnie se retrouvait à cocher les jours dans son calendrier comme un prisonnier qui attend sa libération. Mais qu’attendait-elle, au fond ? Rien. Elle n’avait rien à l’horizon, elle le savait, elle l’avait toujours su. Depuis sa naissance elle savait qu’elle finirait comme sa mère, seule avec un môme à servir du café tiède dans un diner qui sent les œufs brouillés. Un jour elle avait cru pouvoir échapper à son destin mais la chute avait été si rude qu’elle s’était promis qu’on ne l’y reprendrait plus. Y penser lui donnait mal au ventre. La culpabilité de s’être fait berner comme une débutante. Mais qui aurait pu l’en blâmer ? Il était grand, fort, avec des yeux bleus étincelants, un sourire à tomber par terre. Il aurait pu choisir n’importe quelle victime pour lui briser le cœur mais il avait choisi Bonnie. Il lui avait promis une vie ailleurs et il était parti.

On frappa à sa porte. « J’arrive, » lança-t-elle depuis sa cuisine et elle vérifia qu’elle avait bien fermé sa robe de chambre. En rentrant du Bernie’s il lui fallait absolument se débarrasser de son uniforme qui sentait le café froid et le fromage grillé. C’était son luxe, se glisser dans une robe de chambre en satin. Elle n’attendait personne mais elle n’était pas étonné de recevoir de la visite, Santa Rosa était une petite ville, on appelait rarement les gens, on se rendait plutôt directement sur le pas de leur porte pour les saluer. Elle traversa son petit salon et ouvrit la porte pour tomber devant… Lui. Son cœur tomba dans sa poitrine comme une tasse se serait brisée au sol si elle en avait eu une dans les mains. L’année écoulée, les trois cent soixante-cinq croix disparurent en un coup de vent alors qu’elle retrouvait son regard. Deux semaines avaient suffi pour le graver dans sa mémoire et tout son être.

« J'ai braqué une banque et j'ai un otage avec moi. J'ai besoin de ton aide. » « Qu- quoi ? » Interloquée, elle ne put même pas laisser sa voix lui faire de l’effet alors qu’il venait de lâcher bombe. C’était une bombe dans une bombe. Il venait d’atomiser la vie de Bonnie, une fois de plus. Instinctivement elle regarda dans le couloir pour voir s’il était seul, s’il avait des flics aux trousses, s’il y avait quelque chose d’anormal mais il n’y avait rien, il était seul avec son air paniqué. Elle se poussa pour qu’il rentre, imaginant que ce genre de conversation ne pouvait pas vraiment avoir lieu sur un palier d’immeuble mais alors qu’elle refermait la porte derrière lui ses neurones commençaient à fuser. « Qu’est-ce que tu racontes ? » demanda-t-elle, plus sèche cette fois, « C’est une blague ? C’est tout ce que t’as trouvé pour justifier ta présence devant ma porte après un an ? » Elle resta le dos plaquée à sa porte, ses mains derrière son dos tenant la poignée alors qu’elle reprenait ses esprits et qu’une colère latente commençait à se réveiller en elle.

Léo aurait pu prendre plus de tact. Essayer de trouver le bon moment pour placer sa connerie tout en douceur, mais il faut croire que l’approche brutale était la plus simple. Après un an d’absence, il n’avait rien trouvé de mieux à dire et c’était la vérité. Dès qu’il avait posé les yeux sur Bonnie, il s’était senti affreusement faible. Elle le contrôlait toujours, même après tout ce temps qu’ils avaient passé éloigné l’un de l’autre. Elle était toujours présente et ne voulait pas disparaître. « Qu- quoi ? » Léo déglutit, même le son de sa voix avait le don de le déstabiliser. Il avait espéré être immunisé contre elle, mais c’était trop beau pour être vrai. Bonnie le fit entrer dans l’appartement après avoir jeté un coup d’œil dans le couloir. C’était un bon début, elle ne l’avait pas laissé sur le palier après l’avoir injuriée de tous les noms d’oiseaux possibles. « Bonnie je … » Commença-t-il, mais il ne termina pas sa phrase. La jeune femme referma la porte, changement lentement d’expression. « Qu’est-ce que tu racontes ? » Et voilà que le ton de sa voix changeait également. Si ce n’était pas les flics qui l’attrapaient pour le mettre en prison, ça serait sûrement Bonnie qui l’étriperait de ses propres mains. « C’est une blague ? C’est tout ce que t’as trouvé pour justifier ta présence devant ma porte après un an ? » Qu’est-ce qu’il avait espéré après tout, elle n’allait pas lui ouvrir la porte de son appartement et tout oublier. Il s’était comporté comme le dernier des salauds, il ne le niait pas. Son comportement égoïste lui avait fait prendre la route sans se retourner, la laissant elle, seule, à croupir dans cette ville fantôme. Léo inspira profondément, le moment était venu.

« Oui. » Au moins, la réponse avait le mérite d’être claire. « Bonnie, j’ai réellement braqué une banque. J’ai traversé tous les Etats-Unis pour échapper aux flics et … » Espérer que tu me pardonnes ? Toutes les explications du monde ne changeraient rien. Il n’avait pas envie de se justifier pour le moment. Sa tête était ailleurs depuis ce braquage. Sa vie était foutue et sans parler de Mary –sa Honda Civic- qu’il avait abandonné sur le bord de la route à une centaine de miles de Denver. « C’est la vérité Bonnie, tout s’est passé si rapidement. Et cette femme qu’on a… » Parlé par bout de phrases n’allait pas faire avancer les choses. Il n’arrivait pas à se concentrer. Dès que ses yeux s’étaient posés sur Bonnie, tous les souvenirs passés avec elle lui étaient revenus en tête. Il regrettait tellement d’être parti, mais ça, c’était trop tard pour le penser. Même si son cœur tapait de plus en plus fort contre son torse, elle ne lui appartenait plus et il n’était même plus sûr qu’elle lui ait appartenu un jour. « Je suis désolé. »

« Oui. » Bonnie fixa Léo alors que sa réponse venait de tomber comme un pavé dans une mare d’eau croupie. De chauffeur de taxi il était devenu apprenti malfrat. Jamais elle n’aurait cru ça de lui. Mais après tout, qui était-elle pour le connaître ? Une fille avec qui il avait couché pendant deux semaines, une distraction pour le sauver de l’ennui mortel de Santa Rosa. « Bonnie, j’ai réellement braqué une banque. J’ai traversé tous les Etats-Unis pour échapper aux flics et … » Elle détourna les yeux, guère capable de soutenir son regard aussi clair que le sien était sombre. Elle se passa la main sur le visage pour essayer de dissiper son trouble mais ses membres étaient tremblants de le voir. Elle n’était pas prête. Ne plus jamais le revoir, c’était la seule façon dont elle aurait pu s’en sortir.

La jeune femme contourna Léo, sonnée et désorientée. « C’est la vérité Bonnie, tout s’est passé si rapidement. Et cette femme qu’on a… » Elle se retourna vers lui. Il avait fait un otage. Comment cette idée même avait-elle pu lui effleurer l’esprit ? Mais qui était-il ? Et pourtant son cœur battait la chamade dans sa poitrine, la personne qu’elle avait devant elle ne concordait en rien avec son souvenir et pourtant c’était comme si son corps entier le reconnaissait, c’était bien la même personne, celui qu’elle avait aimé, désiré, qui l’avait quittée et qui maintenant se trouvait devant elle, interrompant sa cavale pour échanger un regard. « Je suis désolé. » Elle avait gardé le silence jusqu’à présent mais ces excuses qui venaient un an trop tard entaillèrent sa blessure à peine cicatrisée. « J’hallucine Léo. » Elle éclata d’un rire amer. « Tu es désolé ? Pourquoi ? Pour débouler chez moi avec Interpol au cul ? Ou pour m’avoir laissée tomber ? J’aimerais bien savoir. » Elle fit un pas vers lui et le poussa en arrière avec violence. C’était trop fort. « De toute façon j’en ai rien à foutre, t’es qu’un sale connard. » assena-t-elle en le repoussant une seconde fois. Il semblait que sa colère se nourrissait de ses mots, de son ton lourd de reproche, toujours plus tranchant, et que cela se traduise dans une tension physique qui se manifestait par le rouge qui lui montait aux joues, par ses genoux qui tremblaient, par l’impression qu’elle allait exploser. « Casse-toi. » Elle sentit qu’il résistait à ses poussées alors elle haussa le ton. « Casse-toi ! Je sais pas à quoi tu t’attendais en venant ici mais barre-toi ! »

Depuis le début, Léo n'avait pas lâché Bonnie du regard. À chaque fois qu'elle tournait la tête, il la tournait aussi, à chaque fois qu'elle bougeait, il bougeait. Elle était un véritable aimant, son aimant. Il gravitait autour d'elle comme un électron autour d'un noyau. « J’hallucine Léo. » Le rire qui suivit cette phrase fit naître un sentiment en lui. Face à cette Bonnie différente, froide, mauvaise, il se sentait mal à l'aise. C'était essentiellement à cause de lui qu'elle se comportait de cette manière, c'était sa faute et pas celle de quelqu'un d'autre. Le seul coupable dans l'histoire, c'était lui et il ne pourrait plus rien faire pour changer ça. « Tu es désolé ? Pourquoi ? Pour débouler chez moi avec Interpol au cul ? Ou pour m’avoir laissée tomber ? J’aimerais bien savoir. » Léo détourna le regard quelques instants avant de se focaliser une nouvelle fois sur Bonnie. Elle avait le don pour lui balancer toute la vérité en pleine face. Les questions auxquelles il ne souhaitait pas répondre et qui pourtant dans ce cas précis, étaient les plus importantes et fondamentales. Elle le poussa violemment en arrière, le faisant reculer de quelques centimètres. « De toute façon j’en ai rien à foutre, t’es qu’un sale connard. » Encore une fois, elle avait raison. « Je sais, » répondit-il en se faisant pousser une nouvelle fois. Il avait beau résister du mieux qu'il pouvait, toute cette haine que Bonnie était en train de déverser sur lui était sur le point de le faire lâcher prise.

« Casse-toi, » commença-t-elle en haussant le ton, « casse-toi ! Je sais pas à quoi tu t’attendais en venant ici mais barre-toi ! » Elle avait raison, il aurait peut-être du quitter l'appartement à cet instant. Quitter cette ville par la même occasion et rayer cet événement de sa mémoire. Mais c'était au-dessus de ses forces. Il ne pouvait pas la laisser là après ce qu'il venait de se passer et ne plus jamais la revoir. Il la prit par les épaules et la plaqua violemment contre la porte. La maintenant de façon à ce qu'elle ne puisse pas bouger. Elle se débattit, mais sans grand succès, elle était prisonnière de son emprise. « Oui, j'ai fait le con. Ma vie entière est un mensonge. » Léo s'approcha de Bonnie pour effacer cette limite qui les séparait depuis trop longtemps. « Je t'ai abandonné, j'ai été la pire des ordures, mais ... » Il ne termina pas sa phrase voyant qu'elle ne l'écoutait que d'une oreille. Les mots n'y feraient rien. Elle n'était pas en mesure d'écouter ses justifications qui ne changeraient rien. Il décida donc de passer directement à l'acte. Il s'approcha encore plus d'elle et l'embrassa fougueusement, collant ses lèvres à celles de Bonnie pour maintenir toute son attention.

Elle pensait ne jamais le revoir. Mais malgré elle Bonnie se surprenait à l’espérer lorsqu’elle était seule, bien souvent. Elle s’était raconté à plusieurs reprises comment seraient leurs retrouvailles, ce qu’elle lui dirait, la façon dont il s’excuserait de l’avoir traitée ainsi, et elle lui pardonnerait en un battement de cœur parce qu’elle l’aimait toujours et qu’il lui avait juré qu’il l’aimait et qu’il l’aimerait en retour. Dans sa tête l’amour triomphait de tout. C’était simple, c’était grandiose comme dans un Truman Capote.

Elle voulait le repousser hors de chez elle, loin d’elle, l’éloigner jusqu’à ce que la distance ne fasse de lui qu’un vague souvenir, qu’un regret dont elle ne parlerait jamais, une leçon bien retenue. Mais il résistait, il soutenait son regard, il avait l’air sincèrement désolé, coupable, et toute cette haine qu’elle ressentait à son encontre c’était parce qu’elle l’avait trop aimé, elle le savait, elle était sur le fil. Puis il la saisit par les épaules et la plaqua contre la porte avec violence et elle se débattit de toutes ses forces, tambourinant son torse de ses poings autant que son cœur tapait dans sa poitrine. Mais il était naturellement plus fort qu’elle et elle n’avait aucune idée de ce qu’il allait faire. Elle ne pensait qu’à lutter contre lui et son emprise, elle voulait rester libre, même si cela signifiait n’être que l’ombre d’elle-même. Elle s’était brûlé les ailes à cause de lui et elle s’était habituée à arrêter de rêver. « Oui, j'ai fait le con. Ma vie entière est un mensonge. » Il se rapprocha d’elle et elle ferma les yeux pour ne pas voir, pour ne plus voir son visage, ses yeux, pour tenter d’ignorer l’effet qu’il avait sur elle, mais c’était impossible, car elle le sentait près d’elle, proche, trop proche, et elle gardait ses mains plaquées contre son cœur pour tenter de le maintenir à une certaine distance mais elle ne faisait que sentir qu’il était aussi désespéré qu’elle dans cette lutte. « Je t'ai abandonné, j'ai été la pire des ordures, mais ... » Elle rouvrit les yeux, essaya de le repousser une fois de plus mais c’était comme lutter contre le destin. Leurs bouches s’entrechoquèrent brutalement alors que la porte fut secouée dans ses gonds. Elle le gifla, après quelques secondes où elle avait répondu à son baiser, et le regarda ardemment, soudainement essoufflée parce qu’elle avait compris. Elle l’aimait encore. « Tu n’aurais pas dû… » Elle glissa une main fébrile sur le col de son tee-shirt et avant qu’il n’ait eu le temps de répondre elle l’embrassa avidement à son tour et s’agrippa à ses vêtements pour qu’il la soulève tandis qu’elle entourait sa taille de ses jambes et que, déséquilibré, il la replaquait contre la porte.

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